Les polices de Quentin Tarantino

Les polices de Quentin Tarantino

Giovanni Blandino Publié le 5/30/2024

Des citations, un pot-pourri de genres, quelques fétiches et beaucoup d’extravagance : les caractéristiques de Quentin Tarantino se retrouvent également dans le lettrage utilisé dans les génériques de ses films. Combien d’autres réalisateurs parviendraient à utiliser quatre polices différentes dans une séquence de quelques secondes, comme c’est le cas dans Kill Bill ? Il y a aussi les hommages au lettrage des westerns spaghetti, l’emprunt de polices de caractères aux films de série B des années 1970 et certaines polices de caractères qui reviennent dans pratiquement tous les films.

Bref, même en matière de typographie, le maître du cinéma américain ne semble jamais nous lasser. Voici un tour d’horizon des génériques les plus emblématiques des films légendaires de Tarantino.

Les Hyènes

Le Iene – premier film de Quentin Tarantino – a été réalisé avec un budget très réduit, à tel point que certains acteurs ont dû apporter leurs propres vêtements et leur voiture sur les lieux du tournage. C’est peut-être aussi ce qui donne au film une patine particulière, quelque part entre le fait maison et le film poliziottesco à l’ancienne. Comme on peut le deviner dès le générique de début.

Image: http://annyas.com/

Les protagonistes sont filmés au ralenti dans la désormais célèbre marche, tandis que leurs noms apparaissent à l’écran : la police utilisée est la gracieuse Palatino, d’une couleur moutarde qui deviendra la marque de fabrique de presque tous les films de Tarantino. Un tube des années soixante-dix est diffusé en fond sonore. Le titre du film est en Garamond classique, une autre police de caractères gracieuse, née en France au XVIe siècle et qui nous est parvenue avec diverses modifications. En Italie, d’ailleurs, c’est une police qui bat tous les records, comme nous l’avons rapporté ici.

Alors que les titres sont nets et bien cadencés, le son suggère que quelque chose est en train de changer : la musique s’estompe et d’étranges gémissements commencent à se faire entendre à l’arrière-plan. Vous vous souvenez de qui est en mauvaise posture ?

Pulp Fiction

Le film le plus connu de Quentin Tarantino, Pulp Fiction, marque le début d’un partenariat spécial entre le réalisateur américain et Pacific Title, une société hollywoodienne spécialisée dans la conception de titres depuis l’époque du cinéma muet. Pacific Title, puis son designer Jay Johnson, signeront la conception graphique des titres de tous les films suivants de Tarantino.

Image: http://annyas.com/


Après nous avoir offert la définition de pulp selon l’American Heritage Dictionary dans un Times New Roman classique, une séquence d’ouverture commence qui nous prépare déjà à ce que nous verrons au cours des deux prochaines heures : dialogues de rue, mauvaises intentions et citations des années 1970.

Le premier générique d’ouverture est en ITC Busorama, une police sans empattement conçue par Tom Carnase en 1970 qui combine l’art déco avec un style bizarre. En bas, le titre du film, désormais emblématique, apparaît dans une police très puissante : l’Aachen Bold de 1969. Le générique des acteurs est superposé en blanc : la police utilisée est vraisemblablement l’ITC Benguiat modifiée dans les lettres initiales. Cette police gracieuse a été créée en 1977 par le maître de la conception de polices Ed Benguiat et est également utilisée pour le logo d’une série télévisée récente, devinez laquelle.

Quelqu’un change ensuite de station de radio et… nous nous retrouvons dans une Chevrolet avec John Travolta et Samuel L. Jackson.

Jackie Brown

Les films de Quentin Tarantino sont truffés de citations : films underground, films de flics italiens et films de série B. Dans Jackie Brown, troisième film du réalisateur américain et sans doute le moins connu, tout, jusqu’au lettrage du titre, est un grand hommage aux films de blaxpoitation. La blaxpoitation est un genre né aux États-Unis dans les années 1970 qui peut se résumer ainsi : musique funk, beaucoup de soul, petit budget et public afro-américain.

Image: http://annyas.com/

Le titre du film est réalisé en accentuant les caractéristiques funky d’ITC Tiffany, une autre police créée par Ed Benguiat en 1974. La principale référence est l’affiche de Foxy Brown, un film de blaxpoitation de 1974 dont la vedette est la même que celle choisie par Tarantino : Pam Grier. Même la police de caractères utilisée pour le logo de Foxy Brown a été créée par le prolifique Ed Benguiat : la Benguiat Caslon. Rien d’étonnant à cela : Ed Benguiat est un créateur de polices de caractères éminent qui a vécu longtemps – il a aujourd’hui 93 ans – et qui a créé plus de 600 polices de caractères et de nombreux titres de films.

Inglourious Basterds

Nous avons vu que l’utilisation de polices de caractères dans les génériques des films de Quentin Tarantino reflète souvent son style cinématographique. Et s’il y a bien une chose que Tarantino aime, c’est apparaître dans ses films. Ses apparitions sont innombrables : dans Pulp Fiction, il se retrouve dans la maison de John Travolta et Samuel L. Jackson avec un gros problème à résoudre, tandis que dans Les Hyènes, il fait partie de la bande de voyous.

Image: http://annyas.com/

Même dans le générique d’ouverture d’Inglourious Basterds – le sixième film du réalisateur – on trouve un caméo de lui. Le titre du film est en effet écrit de sa propre main : l’image est tirée de la couverture de son scénario final, achevé en juillet 2008.

Les Huit détestables

Les deux westerns de Quentin Tarantino offrent une bonne occasion de passer en revue certains westerns spaghetti, même en termes de polices de caractères.

Immagine: http://annyas.com/


La police de caractères utilisée pour le titre de The Hateful Eight – le huitième film de Quentin Tarantino – a été conçue par Jay Johnson en s’inspirant de centaines et de centaines de westerns spaghetti ! En particulier, le lettrage presque ludique du titre rappelle les créations d’Iginio Lardani, le “Sergio Leone” de la conception des titres, qui a signé les intros les plus célèbres du genre. Enfin, le générique couleur moutarde des acteurs de ITC Bookman nous rappelle – si nous ne l’avions pas déjà deviné – que nous sommes en train de regarder un film de Tarantino.

Il était une fois à Hollywood

Le dernier film de Quentin Tarantino est une sorte de conte de fées hollywoodien, entre hommage et nostalgie : on y trouve des vêtements vintage, des voitures vintage, des affiches vintage et, bien sûr, beaucoup, beaucoup de lettrages vintage.

Image: http://annyas.com/


L’un des aspects les plus intéressants du film – pour les fans que nous sommes – est sans aucun doute la scène où les enseignes lumineuses d’Hollywood s’allument une à une. Une séquence qui nous offre trente secondes de pure immersion dans le graphisme des années 1960 !

Mais parlons du générique de début. Once Upon a Time in… Hollywood commence et nous nous sentons comme chez nous en voyant les polices de caractères désormais caractéristiques : ITC Bookman et ITC Busorama, en couleur moutarde bien sûr. Le titre du film, quant à lui, ne fait son apparition que dans le générique, comme pour sceller la fin de ce conte de fées moderne.

Nous avons ainsi vu que les choix typographiques des films de Tarantino ne sont pas éloignés de sa manière de faire des films, un style unique et désormais reconnu que le design des titres vient en quelque sorte compléter. Il y a des éléments récurrents, comme le Bookman et le Busorama. Certaines polices de caractères citent explicitement des courants esthétiques entiers, comme le western ou l’univers funky de Jackie Brown. Il y a aussi une touche saine de beau personnalisme à la… Tarantino.